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„Il y a une vraie complémentarité entre les blogs et les articles de fond publiés dans les revues.“ – Entretien avec Serge Slama

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Vous avez commencé votre blog « Combats pour les droits de l’homme » en septembre 2008, après avoir contribué au blog « Droit Administratif ». Qu’est-ce qui vous a inspiré d’utiliser le blog comme moyen de communication et de créer un blog spécifiquement sur les droits de l’homme ?

La création de Combats pour les droits de l’homme (CPDH) en 2008 s’explique par le croisement de plusieurs phénomènes personnels et collectifs. En premier lieu, cela est lié au contexte particulier de la faculté de droit d’Evry dans laquelle je suis devenu maitre de conférences en 2005. Dans cette petite faculté de droit de la banlieue parisienne, un groupe d’étudiants en Licence a commencé à tenir un blog sur la faculté de droit ainsi que sur les professeurs et nos cours. Il s’agissait là d’un blog confidentiel qui se faisait sous pseudonyme. Mais nous l’avons repéré et on a commencé à s’en amuser en glissant dans nos cours des allusions, aussitôt reprises sur le blog. Nous étions alors une équipe avec plusieurs jeunes enseignants investis auprès des étudiants et ouverts sur les nouvelles technologies. Se sont alors développé beaucoup d’échanges et d’interactions avec les étudiants sur les réseaux sociaux.

Cette expérience a créé une émulation qui a amené à la création en août 2005 du blog du Professeur Frédéric Rolin puis, à la rentrée 2005, de celui du Professeur Dimitri Houtcieff. Ces deux blogs sont rapidement devenus centraux dans les blogosphères académiques françaises. Quelques années après, d’autres professeurs evryens, notamment Nicolas Mathey (Thomas More), initieront leur propre blog.

Dès cette époque, j’avais l’idée de créer mon propre blog sur l’actualité des droits de l’homme. Mais alors engagé comme candidat dans le concours d’agrégation de droit public, il m’était difficile d’apparaître publiquement dans des billets engagés et trop ouvertement critique. Le concours d’agrégation exige un certain conformisme (voire un conformisme certain) si on veut jouer le jeu de ce concours. Je défendais aussi l’idée auprès de Frédéric Rolin, Denis Mazeaud et Dimitri Houtcieff de la nécessité de créer un blog collectif de juristes universitaires soit avec le soutien d’un éditeur juridique, sur le modèle du Scotus blog, ou d’un média (comme Rue 89, Lemonde.fr ou Médiapart) car je craignais un essoufflement rapide des blogs reposant sur une seule personne. Si Dalloz a créé son blog en octobre 2006 celui-ci n’a jamais connu de succès faute de savoir faire.

A partir de décembre 2006 j’ai commencé à publier quelques billets sur l’actualité du droit des étrangers sur le blog droit administratif puis un billet sur le blog de Maître Eolas en août 2008 peu avant la création de Combats pour les droits de l’homme en septembre.

Pourquoi le blog était-il un nouveau phénomène dans la discussion juridique ? Et pourquoi avez-vous décidé de créer votre propre blog ?

Les blogs juridiques sont réellement devenus un phénomène dans le monde académique français avec l’énorme succès rencontré par le blog de Frédéric Rolin entre 2006 et 2008. Il existait certes quelques blogs d’universitaires français, comme celui du Professeur Jan (droit public.net), de Cédric Manara (Nom de domaine) ou du Pr Guglielmi (Drôle d’en-droit), mais il y avait très peu d’interactions sur ces blogs. Or le blog de Frédéric Rolin, qui à l’origine n’était qu’une façon pour lui de tester des idées originales (il écrivait ses billets avec une liberté et à une vitesse hallucinantes), va devenir le centre de la blogosphère juridique et académique française (il sera longtemps classé premier dans les classements d’influence jusqu’à l’incroyable succès du blog de Maitre Eolas, journal d’un avocat). Le blog de Frédéric Rolin est alors devenu le lieu de débat des questions de recrutement comme maître de conférences (il diffusait les précieuses « listes de qualifiés » par le Conseil national des universités, section de droit public ou a essayé d’organiser un calendrier synchronisé des auditions) ou l’agrégation de droit public (aide à la création des équipes de la leçon de 24 heures, diffusion des listes de sous-admissibles et d’admissibles et même répartition des postes d’un concours sur le blog) mais aussi sur des mobilisations collectives d’universitaires (contre la proclamation de l’état d’urgence lors des émeutes en banlieue en 2005 ou lorsque nous avons initié un « appel des facultés de droit », signé par des centaines d’universitaires, contre l’équivalence accordée à l’école de droit de Science Po. Paris pour l’accès à l’examen d’avocat au détriment du monopole des facultés de droit). Ces mobilisations ont souvent connu des prolongations judiciaires par des recours devant le Conseil d’Etat qui portent nos noms (Myriam Aït-Aoudia, « Le droit dans la concurrence. Mobilisations universitaires contre la création de diplômes de droit à Sciences Po Paris », Droit et société, 2013/1). Le blog était aussi central sur de nombreuses questions comme le fonctionnement de Légifrance, de gallica ou sur les nombreux sujets de réflexion de Frédéric Rolin. Malheureusement certains commentateurs du blog ont aussi instrumentalisé le blog de pour le transformer en réceptacle de leurs frustrations et critiques à l’encontre du système de l’agrégation ou du Conseil national des universités.

Après 4 saisons, Frédéric Rolin s’est lassé et a interrompu brutalement son blog après un billet original visant à déterminer collectivement le régime juridique du plan vigipirate (qui est activé en France depuis les années 1990 lors de risque d’attentat). Frédéric Rolin n’a jamais souhaité ouvrir son blog à d’autres collègues – c’était un blog personnel (en 2013 il a renommé le blog du nom de son cabinet d’avocats à Evry et publie toujours des billets sur Dalloz étudiants). Mais de nombreux billets sont le fruit de discussions collectives à Evry avec d’autres collègues dont moi-même (certains billets évoquent même mes exploits). Il y avait aussi à cette époque beaucoup d’interactions au sein de la blogosphère juridique, notamment avec des initiatives comme la République des blogs ou les premiers colloques animés notamment par Geneviève Koubi. Ils ont aussi initié sur la place des blogs juridiques dans la doctrine (voir notamment ce billet précurseur : « Les professeurs de droit non blogueurs ne seront bientôt plus qu’une exception… ») – ce qui a valu ces fameux articles de Frédéric Rolin & Dimitri Houtcieff versus Felix Rome (pseudonyme de Denis Mazeaud) dans le Recueil Dalloz en mars 2006.

Dans cette mouvance, ont émergé certains blogs comme le blog droit administratif, tenu par trois doctorants, d’abord de manière anonyme puis sous leur vrai nom (Alexis Frank, Alexandre Ciaudo et François Gilbert). Ils ont fait la preuve que le fait d’être blogueurs juridiques permettait d’avoir une certaine reconnaissance du milieu académique et n’était pas un handicap pour faire carrière (aujourd’hui ils sont respectivement magistrat administratif, maitre de conférences en droit public et avocat en droit public, 4ème secrétaire de la conférence du stage des avocats aux Conseils). Alexis Frank a notamment publié un billet mémorable sur le système juridique de Star Wars, qui a battu des records de consultation d’un billet juridique.

Une génération de jeunes juristes formés à cette époque ont été abreuvés par ces blogs. On ne compte plus les citations dans les revues juridiques ou les thèses.

Quel est le but de votre blog ? Quel public voulez-vous atteindre à travers le blog ?

Comme l’indique depuis sa création le sous-titre du blog, Combats pour les droits de l’homme relaie « des points de vue engagés sur l’actualité des droits de l’homme ». Il s’agit très clairement de défendre une vision progressiste des droits de l’homme.

Le nom du blog – que j’avais en tête depuis de nombreuses années – renvoie à la fois au journal de résistance d’Albert Camus sous l’Occupation (Combats) mais aussi à une phrase des Justes («J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre.»). Il se réfère aussi à la conclusion d’un ouvrage de Danièle Lochak, ma directrice de thèse (Les Droits de l’homme paru à la Découverte : « l’histoire des droits de l’homme n’est ni l’histoire d’une marche triomphale, ni l’histoire d’une cause perdue d’avance: elle est l’histoire d’un combat »).

Il s’agit aussi d’un lieu de rencontre entre milieu associatif et milieu universitaire, parce qu’il se trouve que je fais justement partie des deux milieux comme ma directrice de thèse Danièle Lochak, professeure de droit public à Nanterre et qui a été parallèlement présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH). De longue date, j’ai une activité militante, essentiellement dans la rédaction de requêtes ou de tierces interventions pour des ONG devant les juridictions suprêmes (Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, Cour de justice de l’Union européenne ou Cour européenne des droits de l’homme).

Le succès du blog – 3 millions de pages vue depuis 2008, 700 000 par an et 2500 visites/jour – est en partie lié au fait que j’ai créé CPDH sur le site du Monde.fr, car il y a une plateforme ouverte à tous les abonnés du journal. Mais le blog a dès sa création été repéré par la rédaction du Monde – notamment à l’occasion de l’affaire du marché de la rétention lorsque le ministre de l’immigration a décidé en 2008 de « casser » le monopole de la Cimade dans l’assistance des étrangers retenus. Pendant deux années le blog passait donc quotidiennement sur la Une du Monde.fr, qui est le site d’actualité français le plus consulté. L’adresse du blog http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr « attire » aussi les moteurs de recherche comme google. En outre les billets du blog ont régulièrement été cités dans des articles de wikipédia, des autres blogs juridiques ou dans de nombreux médias. Le blog est aussi référencé dans les signets de la Bibliothèque nationale de France et bénéfice d’un numéro ISBN.

Le blog est devenu rapidement un point central de référence en ce qui concerne les droits de l’homme. Il est souvent cité par les collègues dans leurs cours de Libertés fondamentales, y compris dans des manuels de droit.

Cette position a aussi été acquise depuis que Combats pour les droits de l’homme est devenu en 2009 la vitrine des lettres Actualité droits-liberté du CREDOF. Créés il y a quelques années par Sylvia Preuss-Laussinotte ces lettres ont connu une seconde vie grâce à l’investissement d’enseignants et doctorants du CREDOF notamment de Nicolas Hervieu, qui a contribué à transformer ces lettres en succès éditorial et scientifique.

Un blog qui se veut en même temps blog académique et engagé est une combinaison qui est assez rare, du moins en Allemagne – est-il possible de mélanger les deux ?

C’est aussi une combinaison rare en France. Cela peut paraître schizophrénique, mais j’essaye toujours de distinguer quand je parle comme universitaire et quand je parle comme militant. J’appartiens à un centre de recherche – le CREDOF (fondé en 2000 par Danièle Lochak) – qui est rattaché à une Unité mixte de recherche, le Centre de théorie et d’analyse du droit (fondé par Michel Troper, professeur émérite de l’Université Paris Ouest-Nanterre). Or pour les positivistes réalistes comme Troper ou Bobbio il est important de distinguer la posture de chercheur de celle de militant/ citoyen engagé dans la vie publique. Il y a eu en France des débats importants sur cette question (v. l’ouvrage d’Emmanuel Dockès, « Au cœur des combats juridiques. Pensées et témoignages de juristes engagés », Dalloz 2007).

S’il est important pour moi de se faire rencontrer les deux milieux – académique et militant – lorsque j’écris sur le blog je le fais comme chercheur et non comme militant. Si le blog relaie effectivement l’information associative, il faut tout de même distinguer entre mes activités dans le monde associatif et mon activité scientifique sur le blog. Si je m’exprime comme militant, je refuse d’utiliser mon étiquette universitaire et je ne m’exprime au nom de l’association -par exemple le Gisti- qu’avec son autorisation. Il faut s’en tenir à ces règles déontologiques sinon l’exercice devient vite périlleux.

Une autre vocation du blog est de valoriser des travaux d’étudiants en droit de l’homme, particulièrement ceux de mes étudiants à Evry ou à Nanterre.

Dans cette idée il y a un billet d’étudiants – ou plutôt d’étudiantes – qui fut très marquant : inspiré par la démarche clinicienne, j’avais demandé à mes étudiants de Master Droits de l’homme à Evry d’aller faire de la « recherche-action ». L’idée était de rencontrer des ONG pour essayer de traiter une question juridique qu’elles se posaient. En 2011, un groupe de trois étudiantes ont choisi de s’intéresser aux files d’attente nocturnes devant la préfecture d’Evry, située à proximité de la faculté de droit. Devant la préfecture, il y avait des étrangers qui, chaque nuit, passaient la nuit afin de pouvoir accéder au guichet le matin, y compris en plein hiver. Même si les médias en parlaient parfois, rien n’était fait pour mettre fin à ce phénomène. Cela engendre certains trafics de tickets dans ces queues. Les avocats et ONG ont déjà essayé de faire des procédures en justice – via des référés mesure-utile ou des référé-liberté – sans grand succès. De manière pragmatique, ces étudiantes se sont d’abord entretenues avec des acteurs du milieu associatif puis sont allées passer une nuit devant la préfecture à côté des personnes qui attendaient. Elles ont ensuite obtenu de la préfecture la possibilité de faire un stage d’observation d’une semaine auprès des agents de guichet et d’accueil. Ceci leur a donné la possibilité d’avoir tous les points de vue des différentes parties impliquées – les étrangers, les associations et la préfecture. Elles ont ensuite rédigé un très bon mémoire sur la situation que j’ai publié sur le blog ainsi qu’un témoignage de leur « veillée nocturne » (dont j’avais demandé qu’il soit le plus objectif possible). Différents médias locaux m’ont ensuite contacté. Ils se sont entretenus avec les étudiantes. Et comme elles ne mâchaient parfois pas leurs mots (« Nous avons observé des pratiques clairement illégales ») – ce sont des étudiantes en droit de l’homme tout de même -, la préfecture a demandé à un média local un droit de réponse… Le sujet est sensible : l’actuel premier ministre, Manuel Valls, qui était avant ministre de l’intérieur, était alors maire d’Evry, ce qui fait de la ville un lieu assez symbolique en France. Mais d’un point de vue pédagogique ce qui m’intéressait c’était de donner à ces étudiantes la possibilité d’exprimer leur point de vue et de le médiatiser – puisque les étudiants en droit de l’homme se destinent à devenir avocats ou salariés d’ONG de défense des droits de l’homme et à défendre des causes.

Avez-vous l’impression que le blog atteint un autre public que d’autres formats plus traditionnels de recherche juridique, à savoir notamment les revues juridiques ?

Le blog se diffuse en effet dans plusieurs sphères : tout d’abord, il y a un noyau dur, à savoir les étudiants qui suivent des cours de droits de l’homme. Ces étudiants sont soit des étudiants en Licence 3 qui suivent le cours de Libertés (il existe en France un tel cours depuis 1954), soit des étudiants en Master spécialisé (il existe une demi-douzaine de M2 en droit de l’homme dans les facultés de droit française : Nanterre, Paris 2, Caen, Strasbourg, Aix, Grenoble, Lyon, etc.), soit, surtout, les étudiants qui préparent l’examen du barreau, car une des épreuves les plus importantes est le grand oral de « libertés fondamentales ». Le blog est donc tout d’abord devenu une référence pour beaucoup d’étudiants en droit ou éventuellement des étudiants en sciences politiques ou sociologiques qui travaillent sur des questions connexes (immigrations, mobilisations, etc.). L’autre audience importante est constituée de collègues, notamment ceux spécialisés dans les libertés. Je publie des annonces de colloques ou de journées d’études, ce qui représente également une référence importante pour mes collègues.

Ensuite le blog est particulièrement consulté dans le milieu associatif – soit pour suivre l’actualité jurisprudentielle des droits de l’homme soit parce que je relaie aussi des informations du milieu associatif. Ont marqué ce milieu non seulement mes premiers billets sur le marché de la rétention mais aussi un billet concernant la directive « retour » de 2008, et qui montre très bien l’interaction entre milieu académique et milieu associatif. La directive « retour » avait causé une très forte mobilisation dans le milieu associatif, et ce pour deux raisons : d’abord, la durée de rétention maximum prévue par la directive est de 18 mois, tandis que la législation en France prévoyait normalement une rétention administrative d’au maximum 32 jours. Ensuite, la directive autorise la rétention d’enfants, certes dans des conditions très encadrées, mais tout de même. Quand la directive a été adoptée, les associations ont dénoncé cette directive comme étant la « directive de la honte », sans véritablement travailler ensuite sur les potentialités qu’ouvrait ce texte pour la défense des étrangers en instance d’éloignement. Comme universitaire, j’ai eu l’occasion de faire fin 2010 deux interventions sur cette directive. A Nijmegen, j’ai rencontré des collègues italiens, néerlandais et belges qui avaient des idées à ce sujet (notamment ceux à l’origine de questions préjudicielles italiennes). J’avais aussi fait un gros travail pour un colloque sur l’immigration irrégulière à Paris VIII-St Denis ou dans le cadre de Trans europe Experts avec Marie-Laure Basilien-Gainche et Karine Parrot. Et comme fin 2010 la France n’avait toujours pas transposé la directive, j’ai eu l’idée le jour de Noël, date de la transposition de la directive, d’appeler dans un billet les avocats à invoquer la directive. Après avoir publié Le Noël des sans-papiers le 25 décembre 2010, j’ai averti Maître Eolas qui a relayé le billet. Or comme il s’agit du blog de droit le plus lu en France et qu’il a des dizaines de milliers de followers sur son tweeter et que l’information a été reprise dans d’autres blogs et dans des médias (Libération, Le Monde, etc.), ainsi que dans des lites associatives (Gisti, Cimade, Avocats pour la défense des droits des étrangers) la semaine suivante la directive était invoquée devant tous les tribunaux administratifs et juges des libertés et de la détention. L’année suivante nous avons suivi de près les répercussions des arrêts de la Cour de Luxembourg El Dridi (en avril 2011) et Achughbabian (en décembre 2011 – j’étais à l’audience avec les avocats) et cela a abouti en France à des centaines de libération de sans-papiers, comme l’a constaté le ministère de l’intérieur dans son rapport annuel sur les orientations de la politique d’immigration. Je crois que c’était sans précédent.

Cela montre qu’un blog, avec des relais via les réseaux sociaux, des listes associatives et de la blogosphère, peut constituer pour une analyse doctrinale une énorme caisse de résonance.

Ceci est également une des idées à la base du « Verfassungsblog » : pouvoir diffuser des idées du milieu académique dans un public intéressé, un public politique.

C’est bien le cas. Je ne m’y attendais pas en créant le blog mais il constitue un point de contact avec des journalistes. Le blog et la lettre d’actualité du CREDOF sont suivis attentivement, notamment via les réseaux sociaux, par des journalistes traitant des questions de justice (Le Monde, Libération, La Croix, Médiapart, L’Humanité, Radio France, Dalloz actualité, etc. etc.). Eux-mêmes ont d’ailleurs parfois des blogs – comme Franck Johannès, le journaliste du Monde (avec Libertés surveillées) ou autrefois Hexagonede Catherine Coroller de Libération (voir aussi la chronique « Qui a le droit ? » de Sonya Faure). Encore cette semaine une journaliste du Canard Enchaîné m’a contacté après avoir lu un billet du blog. Mais au-délà de ces fidèles, des médias, y compris à l’étranger, nous contacte régulièrement via le blog.

Ceci est également un phénomène auquel je me n’attendais pas : le blog est lu dans le monde entier. Malgré le barrage de la langue française, le blog nous a permis d’avoir des contacts avec des Italiens, des Belges, des Turcs et même quelques chercheurs américains qui lisent régulièrement le blog. On a ainsi des contacts privilégiés avec des centres de recherche comme celui de Gand (Strasbourg observer) ou le CEDIE à Louvain-La-Neuve. Ils ont été attentifs à la lettre ADL avant de créer la remarquable newsletter de leur Equipe droit européens et des migrations (EDEM) depuis septembre 2012.

Le fait que votre blog allemand s’intéresse à Combats pour les droits de l’homme en est la meilleure illustration. Mais il est certain que si le blog et les lettres du CREDOF étaient en partie en langue anglaise le lectorat étranger serait bien plus important. En l’absence de moyens, c’est toutefois complexe à mettre en œuvre un système de traduction.

Par ailleurs, certaines politiques nous lisent, surtout s’ils sont eux-mêmes juristes de formation. Le blog a d’ailleurs déjà été cité par certaines parlementaires (comme Jean-Jacques Urvoas, ancien maitre de conférences en droit). Il a aussi été cité dans des rapports parlementaires (par exemple celui-là) et je suis régulièrement auditionné par des parlementaires à l’occasion de l’adoption de législation sur l’immigration ou sur les discriminations ou pour des missions d’études sur des législations. Plusieurs parlementaires ou conseillers de parlementaires nous suivent sur tweeter et relaient régulièrement des informations du blog.

Vous publiez surtout vos idées en tant que chercheur sur le blog. Comment le blog est-il différent d’autres formats juridiques, tels que les revues juridiques, des interventions dans des conférences, ou bien des cours de droit ? Le format affecte-t-il le contenu de vos recherches ?

J’ai essayé au début du blog de faire des billets courts, avec un langage accessible à un large public, comme le fait Maître Eolas, qui est capable d’expliquer le droit à tout le monde avec un remarquable talent. Il se trouve pourtant que je ne suis pas très doué pour écrire dans un style juridico-journalistique. J’ai vite renoncé.

Le tournant a été pris en 2009 lorsqu’on a décidé la reprise systématique sur CPDH de la lettre d’actualité de mon centre de recherche. Le CREDOF avait une lettre d’actualité qui existait depuis plusieurs années, mais avec un nombre d’abonnés limité et des dates de parution irrégulières. Avec Nicolas Hervieu, doctorant au CREDOF, nous nous sommes investis dans la diffusion de la lettre Actualités droit-libertés en systématisant l’analyse de l’actualité du Conseil d’Etat, de la CJUE, du Conseil constitutionnel et surtout de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Nous avons vite constitué une petite équipe qui a passé énormément de temps sur cette lettre d’actualité afin de pouvoir véritablement commenter un arrêt le jour même ou le lendemain. Nous avons réussi l’exploit de maintenir un haut niveau et une fiabilité de l’analyse, notamment grâce aux contributeurs. Cela a vite contribué à augmenter considérablement le nombre d’abonnés à la lettre d’actualité (aujourd’hui, 7000 abonnés). Au début, cette lettre était exclusivement publiée sur le blog, car le CREDOF ne disposait pas de site spécialisé pour la lettre. Le blog était donc la « vitrine » de la lettre. Au travers la diffusion par le blog, la lettre est ainsi devenue une telle référence que le milieu académique y est maintenant abonné, la lettre est très souvent citée dans les revues juridiques, et ceci a également augmenté le nombre de citations du blog lui-même. Au début, il y avait plusieurs incidents avec notamment des collègues qui reprenaient les textes sans citer. La combinaison de la lettre publiée par un laboratoire universitaire et exposée sur un blog de référence a changé cette culture, en augmentant la crédibilité du blog. Et tout cela s’est fait sans absolument aucun moyen budgétaire et de manière entièrement bénévole. Les billets sont entièrement gratuits et en libre accès sous contrat collective common.

Le blog est également lu et pris en compte par les institutions et les juridictions. Avec les outils comme google analytics on peut tracer le nombre de consultations dans les différentes juridictions suprêmes, au Conseil de l’Europe ou dans les différents ministères. On est régulièrement cité dans des recommandations du Défenseur des droits ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Un commentaire de Nicolas Hervieu sur CPDH a même été cité dans une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (voir ici, note 2). Je me rappelle également d’un colloque à Louvain-la-Neuve, où l’actuel président de la CEDH, Dean Spielmann, me montrait son blackberry en me disant qu’il recevait les lettres d’actualité dessus et qu’il les lisait régulièrement sur le blog (la preuve en est : lors de l’ouverture du séminaire d’ouverture de l’année judiciaire 2014 le président Spielmann a cité une « analyse remarquable » de Nicolas Hervieu dans une lettre ADL – voir page 5 des actes du séminaire. L’année précédente il avait fait allusion dans son discours à l’apport des blogs). Françoise Tulkens est aussi une fidèle lectrice et a d’ailleurs accordé un entretien à la Revue des droits de l’homme réalisé par… Nicolas Hervieu.

Nous sommes également lus, parfois cités (voir ce commentaire sur une QPC sur le travail en prison ou cette mention en « références doctrinales »), mais pas vraiment entendus, au Conseil constitutionnel ou au Conseil d’Etat (v. par exemple la réponse dans une chronique de jurisprudence des responsables du Centre de recherche et de documentation juridique du Conseil d’Etat à une lettre ADL : Xavier Domino et Aurélie Bretonneau, “De la tenace autorité de la chose inconventionnellement jugée”, AJDA 2012 p. 2162). A l’évidence, notamment au moment de l’arrêt Alcaly et de l’affaire UFC Que Choisir de Côte d’Or, nous avons perturbé la communication institutionnelle du Conseil d’Etat…. Comme l’a écrit un collègue – pour lequel j’ai une immense admiration – à propos de l’arrêt Alcaly (qui n’avait alors été commenté dans aucune revue juridique) : « Ainsi qu’un cavalier solitaire, Serge Slama – pratiquement seul à annoter cet arrêt… – l’a observé de façon perfide [… citation du commentaire d’Alcaly sur le blog…]. Sacré Tuco ! » (Philippe Yolka, Question prioritaire de constitutionnalité : Le Bon, la Brute et le Truand », JCPA, 2011, act. 190). Ainsi un blog permet donc parfois d’exprimer sans filtre (autre que notre auto-censure) des positions doctrinales critiques plus difficiles à tenir dans une revue juridique.

Si vous parlez des structures établies qui peuvent être perturbées, est-ce que ceci se réfère également à des structures hiérarchiques, soit universitaires, soit dans le monde juridique ?

Oui, le blog est très clairement un moyen de perturber les hiérarchies traditionnelles, car l’accès aux revues juridiques en France demeure tout de même grosso modo réservé aux titulaires et aux doctorants, moyennant certains filtres éditoriaux. Or, au CREDOF on a clairement une démarche de valoriser les travaux et réflexions des doctorants. Les lettres ADL ont permis à des doctorants du CREDOF d’être lus et repérés par les collègues. La visibilité donnée à leurs travaux et la qualité de leurs analyses leur donne un accès plus facile aux revues. L’intérêt est aussi que ces jeunes chercheurs donnent une vraie dynamique analytique et apportent des idées nouvelles.

Mais, si la jeune génération de profs, abreuvés durant leur thèse des blogs de Frédéric Rolin, Maître Eolas ou du blog Droit administratif, nous citent régulièrement, une génération plus ancienne ne consent pas à nous citer. Et pourtant à l’évidence, ils sont abonnés à nos lettres et nous lisent !

Le blog affecte donc les modes de diffusion d’information et peut-être même les sources des chercheurs – pensez-vous que le blog a également le potentiel de surmonter la division entre monde académique d’une part et le public intéressé, voire politique, d’autre part ?

Les blogs perturbent manifestement l’édition juridique traditionnelle. Mais personnellement je ne vois pas d’opposition radicale entre les deux. Il y a une vraie complémentarité entre les billets ou les working papers publiés sur les blogs et les articles de fond publiés dans les revues. Mais cela doit, à mon sens, remettre en cause le format de certaines revues juridiques qui repose sur des commentaires ou des articles de plus en plus courts (15 000 à 20 000 signes) et sans note de bas de page. Quel intérêt de publier deux mois après le prononcé d’un arrêt un commentaire de 15 000 signes dans une revue juridique, sans apport doctrinal réel, alors que l’arrêt a déjà fait l’objet de dizaines de commentaires sur les blogs et les comptes tweeters ?

De ce point de vue le blog offre plus de liberté. Contrairement à une idée reçue sur un blog académique il n’est pas interdit de faire des analyses longues et fouillées. Tout dépend le public que l’on vise. Ainsi, certaines lettres ADL de Nicolas Hervieu diffusées sur internet ont été ensuite publiées intégralement dans des revues juridiques à comité de lecture. D’autres ont été traduites à l’étranger.

Cela montre qu’on peut publier par voie électronique des publications académiques utiles et de qualité. Depuis le début du blog en 2008, personne ne s’est jamais plaint d’inexactitudes sur ce qu’on a publié. Et si l’on apporte des modifications ou des compléments aux textes publiés, il nous semble important que cela soit clairement indiqué. C’est une question d’honnêteté à l’égard du lecteur et de déontologie universitaire.

Mais attention on ne peut mettre au même niveau un billet publié immédiatement sans filtre – ou presque – sur un blog et un article scientifique publié dans un revue avec un (vrai) comité de lecture (en France la majeure partie des revues n’ont pas de vrai comité et fonctionnent uniquement sur la sélection des articles par le seul directeur de la revue).

Le CREDOF est d’ailleurs conscient de la distinction puisque de manière complémentaire aux lettres ADL, reprises sur CPDH ; nous avons créé en 2012 la Revue des droits de l’homme, qui est une revue électronique fonctionnant avec un vrai comité de lecture.


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